L'exercice du bilan est toujours délicat. Il faut se souvenir, se replonger, à la fois dans les faits et les émotions ressenties. Hiérarchiser. S'il n'y avait que trois choses à retenir de 2025, j'opterais pour la saison incroyable de Ludovic Pommeret, le jusqu'au boutisme vénérable de Courtney Dauwalter à l'UTMB et la magie du Tarn Valley Trail.
Salut, c’est Franck Berteau de Distances+,
Avant de tirer définitivement le rideau sur 2025 et de se retrouver ici, dès le 6 janvier prochain, pour le premier Extra D+ de 2026, il fallait bien revenir en détails sur les grands moments de trail et d’ultra-trail de l’année écoulée. C’est le principe de nos “RÉTRO D+”, une série de rétrospectives en quatre épisodes dont vous pouvez d’ores et déjà retrouver les premiers opus sur les réseaux sociaux de Distances+. Ne les manquez pas !
Bien qu’elles soient les plus exhaustives possibles, ces rétrospectives n’ont pas la prétention d’être omniscientes. Le sport en général — et le nôtre en particulier — est aussi une affaire d’émotions. Il y a les instants marquants qui font l’unanimité et ceux, plus personnels, qui émergent de nos sensibilités à chacune et à chacun, de nos rapports à tel ou tel athlète, telle ou telle course, telle ou telle valeur. Il y a même plusieurs manières de ressentir un même événement.
Pour ma part, j’en ai trois qui me viennent à l’esprit : la deuxième victoire consécutive sur la Hardrock 100 de Ludovic Pommeret, à quelques jours de ses 50 ans ; la “pain cave” à la fois la plus sombre et la plus admirable de l’Américaine Courtney Dauwalter, lors de l’UTMB ; le Tarn Valley Trail, cette aventure géographique à laquelle j’ai eu la chance de participer au printemps. Un 100 miles qui, aujourd’hui, n’est malheureusement plus d’actualité.
Voilà ce que j’ai eu envie de vous raconter pour la dernière de l’année !
Joyeuses Fêtes ! Bonne lecture ! Bon Extra D+ !
Le 11 juillet 2025, j’ai eu du mal à m’endormir. J’étais pourtant confortablement installé dans une chambre d’hôtel à Beaufort (Savoie), au terme d’une journée sur les sentiers du Beaufortain consacrée à la reconnaissance d’une portion de la TDS (153 km et 9000 m D+), que j’ai couru fin août. Si le sommeil ne m’emportait pas, c’était parce que j’avais les yeux rivés sur l’écran de mon téléphone, à l’affût d’informations en provenance du Colorado (États-Unis), où le départ de la Hardrock 100 (158 km et 9700 m D+) avait été donné quelques heures plus tôt. J’avais hâte de savoir comment le tenant du titre Ludovic Pommeret allait s’en sortir.
J’étais curieux mais surtout partial. J’avais passé les derniers mois à co-écrire le livre de l’athlète du team Hoka (À Contretemps, aux éditions Mons), et donc à l’écouter se confier sur son intimité et sa carrière sportive, sur sa longévité invraisemblable qu’il avait parfois lui aussi du mal à expliquer. Je savais à quel point cette course comptait pour lui. À quel point, après sa victoire éblouissante en 2024 — assortie d’un record de l’épreuve jusque-là détenu par Kilian Jornet —, le Mauriennais craignait qu’une contre-performance ne vienne ternir ces beaux souvenirs. Forcément, ce genre de collaboration rapproche et finit par dépasser les liens purement professionnels. J’avais envie qu’il réussisse.
Je me suis finalement endormi et, en me réveillant le lendemain matin, j’ai découvert que “Ludo” était en train de récidiver. “Pacé” par ses coéquipiers Jim Walmsley et Vincent Bouillard, l’ingénieur en informatique fraîchement retraité maîtrisait la course, seul en tête depuis Sherman (46e km), ne cessant d’accroître son avance sur ses principaux poursuivants Mathieu Blanchard (2e) et Germain Grangier (3e). À quelques jours de ses 50 ans, Ludovic Pommeret a fini par l’emporter en 22 h 21 min, devenant non seulement un “vrai hardrocker” — se dit des personnes qui achèvent la Hardrock 100 en sens horaire et anti-horaire (l’épreuve change de sens chaque année) — mais prouvant aussi, de nouveau, ses capacités hors-normes et presque énigmatiques.
© Chloé Rebaudo / Distances+
J’étais heureux pour lui ainsi que sidéré. Comment faisait-il ? J’avais beau isoler quelques éléments d’explications, je ne possédais toujours pas de réponse claire malgré les heures d’entretiens et d’écriture. À bien y réfléchir, c’est d’ailleurs ce qui fait sans doute la magie du personnage : sa dimension insaisissable, la possibilité qu’un tel phénomène existe sans qu’on ne puisse l’élucider. Quand on sait que l’ultra-traileur a enchaîné avec une 5e place sur l’UTMB, en août, puis une 4e place sur la Diagonale des fous en octobre — le tout à 50 ans, il faut le rappeler —, la stupéfaction atteint son paroxysme. Personnellement, pas sûr d’avoir vu quelque chose de plus extraordinaire sur les sentiers, en 2025.
C’est vers 12 h 30, au pied de la descente du col de la Forclaz, juste au-dessus du village et du ravitaillement de Trient (145e km), en Suisse, que j’ai compris l’ampleur de la défaillance. J’avais vu passer la Néo-Zélandaise Ruth Croft, en tête de l’UTMB (175 km et 10 000 m D+), puis la Française Camille Bruyas, et j’attendais maintenant Courtney Dauwalter. L’Américaine se faisait attendre. Distancée par ses concurrentes depuis le début de matinée, la triple vainqueure de l’épreuve (2019, 2021, 2023) a fini par apparaître bien plus tardivement que prévu, éreintée, les jambes anormalement lourdes, presque incapable de relancer dans la descente.
J’ai couru avec elle quelques mètres pour filmer des images (à revoir, notre couverture de l’événement). Des spectateurs venus l’encourager patientaient plus loin, des anonymes et des proches, des membres de sa famille. Le sourire momentanément retrouvé mais toujours aussi meurtrie par les kilomètres, l’athlète du team Salomon s’est dirigée vers un petit garçon, son neveu, et s’est arrêtée pour le serrer dans ses bras. À l’oreille, comme pour le préparer au scénario qui allait continuer de se corser, l’ultra-traileuse lui a répété : “I’m sorry”. Une manière, aussi, de verbaliser sa tourmente. C’était désormais sûr : Courtney Dauwalter n’allait pas de nouveau triompher sur l’UTMB.
© UTMB® Gabriele Facciotti
La suite est une démonstration de ténacité. Coincée dans sa “pain cave” — littéralement la “caverne de souffrance” explorée par l’Américaine lorsque son état physique et mental se dégrade durant les courses —, l’une des favorites de l’épreuve a continué d’avancer, même au ralenti, dépassée au compte-goutte par des concurrentes éberluées de la croiser dans une telle perdition. Dans l’ascension vers la Flégère (168e km), des images capturées par un des vidéastes de Distances+ la montrent seule, visiblement exténuée, à une allure qu’un randonneur occasionnel n’aurait même pas envié.
Dans la vallée, à Chamonix, on n’attendait plus qu’elle. Le public avait célébré les premiers hommes et les premières femmes puis s’était dispersé, scrutant sur LiveTrail — l’application de suivi de course — le moment où il faudrait revenir pour honorer la “Reine”. Ce jour-là, ce n’est donc pas la supériorité indiscutable de l’une des meilleures ultra-traileuses de tous les temps qui a ému la foule, mais son jusqu’au boutisme vénérable. Sa capacité à se dévoiler humaine et faillible, quand bien d’autres athlètes auraient jeté l’éponge. Après avoir reçu l’ovation qu’elle méritait, Courtney Dauwalter a franchi la ligne d’arrivée en 25 h 50 min (10e), main dans la main avec son neveu. Elle avait beau être désolée, lui devait être bien fière de sa tante.
C’est une aventure géographique qui démarre au Mas de la Barque, non loin du mont Lozère, là où le Tarn prend sa source. Affluent principal de la Garonne — avec le Lot —, la rivière occitane sert de fil conducteur au Tarn Valley Trail, un événement lancé en 2022 par Gilles Bertrand, le fondateur du célèbre Festival des Templiers. Elle serpente au creux de paysages accidentés, entre Cévennes et Causses, émaillés de villages plus ou moins touristiques et peuplés, à l’image du Pont-de-Monvert, de Florac, Quézac, La Malène ou encore Le Rozier. Au final, comme pour les Templiers, tous les chemins mènent à Millau, là où l’ensemble des itinéraires s’achèvent, dont celui du format 100 miles (153 km et 5800 m D+) auquel j’ai participé au printemps.
Je me souviens d’un départ en petit comité — 212 participants —, sans arche publicitaire ni sono, avec pour seul décompte nos voix rassemblés concluant un discours de Gilles Bertrand, aux airs de poèmes. Grand amateur de la Western States, l’homme raconte volontiers sa passion pour les atmosphères artisanales et théâtrales, que la classique américaine a su conserver au fil du temps. Une aspiration que l’on peut questionner, tant le Festival des Templiers — et même le Tarn Valley Trail — sont devenus des événements aux multiples formats, accueillant de plus en plus de coureuses et de coureurs. Quoi qu’il en soit, la course que j’ai vécue ce jour-là était fidèle à la promesse : une traversée intimiste, au cours de laquelle je me suis souvent retrouvé seul, sans effervescence ni embouteillages sur les sentiers.
© Franck Berteau / Distances+
J’ai surtout aimé la cohérence géographique d’une telle épreuve. Avoir la sensation de se laisser guider par cette rivière qui n’est jamais très loin de nos foulées, en contrebas d’un relief ou bien à portée de main, lorsque l’on progresse sur ses rives. Sentir que le chemin n’a pas été pensé spécialement pour nous, pour aboutir à un certain nombre de kilomètres, mais qu’au contraire il est naturel, que nous nous y coulons en toute logique, presque à pas de loups, sans le déranger. C’est une autre belle promesse, tenue par l’organisation du Tarn Valley Trail, ma plus belle découverte de l’année 2025.
Une belle découverte et une frustration, aussi. Quelques jours après l’épreuve, j’ai appris que le format 100 miles serait supprimé pour l’édition 2026. Reste que l’itinéraire, qui reprend en majeure partie le GR 736, n’a pas disparu pour autant. Et qu’il n’y a pas forcément besoin d’accrocher un dossard pour s’y aventurer.
...